DEUXIEME PARTIE – RICERCARE.

PRELUDE | DEUXIEME PARTIE RICERCARE | ORATORIO

Moondog 03

Repéré en 1969 par James Guercio travaillant à CBS, à qui il avait vendu ses poèmes, il enregistre ce qui est encore aujourd’hui considéré comme son chef d’œuvre ; l’album éponyme, où jouent ensemble musiciens de jazz et membres du New York Philarmonic. On retrouve dans ce disque ses Symphoniques #1, #3 et #6, la dernière étant un joyau musical dédié à Benny Goodman, et des titres comme Stamping Ground ou Witch of Endor. C’est aussi cet album qui comporte le fameux Bird’s Lament. Cet album est celui avec lequel sa carrière prit réellement son envol. Il lui valut la reconnaissance de nombreux musiciens. Philip Glass et Steve Reich sont admiratifs face à ce travail, plus tard ils suivront les traces de Moondog et seront le fer de lance du courant minimaliste et répétitif. Glass hébergera Hardin six mois durant. Cette période fut mise à profit pour revisiter les morceaux de Moondog, ainsi que pour lui faire rencontrer Terry Riley, autre ponte en devenir du courant minimaliste. Cependant, il existe une véritable différence entre ces compositeurs se réclamant, à juste titre, du courant avant-gardiste, et Moondog lui même. Leur seul point commun va être leur façon nouvelle de concevoir les rythmes, ce que Moondog accepte sans aucun problème. Seulement ce dernier ne tolère pas les dérives en matière d’harmonies et de mélodies qu’explorent Glass, Reich et Riley qui prônent l’atonalité dans leurs compositions. Il tiendra ces propos à leur sujet : « [qu’]ils violent toutes les règles… Rythmiquement, je peux l’accepter ; mais pas musicalement, pas mélodiquement ou harmoniquement… ». On retrouve cette différence évoquée aux débuts avec « les notes justes » et « les fausses notes ».

Après ce succès qu’est Moondog, notre viking ne change en rien sa façon de procéder, il joue toujours dans la rue et vit de la même façon. Seulement voilà, avec l’avènement du mouvement Beatnick on fait rapidement de lui une sorte d’icône, statut qu’il ne cherche nullement à avoir. Il entame les années 70 par un nouvel album, Moondog II (1971), qui se compose d’une trentaine de sublimes madrigaux. Puis il lit des poèmes avec Allen Ginsberg, côtoie Williams Burroughs, subit une sorte de peoplisation contre-culturelle si on peut le dire ainsi. Las de tout cela, il se retirera alors à Candor entre 1972 et 1974, quittant sa vie dans la rue pour ne se concentrer que sur sa musique dans le calme.

En 1974, on lui propose de venir donner une série de concerts en Europe. N’ayant jamais réellement trouvé sa place en Amérique, il saute sur l’occasion. Il décide de s’installer là-bas, en Allemagne. Malheureusement, très rapidement il n’a plus guère d’argent et retrouve alors sa vie de mendiant. Contrairement aux versions dites « officielles » affirmant que c’est à Recklinghausen qu’il rencontre Ilona Goebel qui décida de l’aider en l’hébergeant, et en transcrivant les idées qu’il avait et dans la tête et dans le cœur. C’est en réalité un certain Tom Klatt qui fut le premier a aider Moondog à son arrivée en Allemagne, en l’hébergeant au risque de se voir expulsé de chez lui par ses propriétaires, il lui fit rencontrer des amis, des musiciens, organisa des concerts. Ilona, elle, assura alors la fonction de manager et fonde Managam Musikverlag afin de promouvoir l’œuvre du compositeur. Pour plus d’informations sur cette partie de la vie de Moondog, je vous renvoie vers le texte écrit par Tom Klatt.

Cette période de la fin des années 70 est particulièrement prolifique pour le compositeur. En effet, entre 1977 et 1979, Moondog nous livrera pas moins de 4 albums – Moondog in Europe (1977), Moondog – Selected Works (1978), H’Art Songs (1978) et A New Sound Of An Old Instrument (1979). Quatre albums fortement marqués par ce majestueux instrument qu’est l’orgue, et qui prolongeront de façon remarquable la qualité de l’œuvre du viking, apportant autant de pierres indispensables à l’édifice mélodique érigé par Hardin depuis 30 ans déjà.

Les années 80 sont beaucoup plus calme en matière de sorties de disques et Moondog se consacre plus à des voyages à travers l’Europe où il connait un vif succès, à Herten et Recklinghausen (Allemagne) en 1981, Paris en 1982, Salzbourg (Autriche) en 1984 et à Stockholm (Suède) en 1986 où il travailla avec des musiciens suédois ; un quatuor à cordes Bracelli (donnant son nom au disque), Flaskkvartetten et le Flesk Quartet. En 1988, il fut invité aux Transmusicales de Rennes où il joua quelques unes de ses compositions accompagné de l’orchestre de la ville. Ce spectacle doit être filmé dans le cadre d’un documentaire réalisé sur Moondog, mais au bout d’une vingtaine de minutes les musiciens se lèvent et quittent la scène, estimant que les caméras filment plus que prévu… Moondog assis sur le côté de la scène comme à l’accoutumée contemple la scène, déboussolé, ne comprenant pas ce qui arrive, demandant ce qu’il se passait alors que tout le monde pleurait autour de lui. Dix minutes plus tard les musiciens reviennent, la Symphonie se termine, mais le deuxième set qui devait être présenté est annulé. Indignés, les organisateurs auront ces mots : « Nous trouvons scandaleuse et irrespectueuse l’attitude des musiciens vis-à-vis du compositeur, puisqu’ils se sont interrompus au plein milieu d’une de ses œuvres. ». Quelques jours avant cet incident, Moondog était conduit à Brocéliande où l’équipe des Trans jouera spécialement pour lui. Entre le Val sans Retour et le miroir aux fées, Moondog devait, plus que jamais, avoir l’air d’un druide mystique. Voir l’interview de Jean Louis Brossard, programmateur des Transmusicales.

En 1989, Hardin s’en retourne à New York où on le croyait mort et enterré. Là-bas, il fera l’ouverture du New Music America festival en dirigeant le Brooklyn Philharmonic Chamber Orchestra – à la demande de son ami Philip Glass – toujours sur le côté de la scène, avec un tambour pour donner le rythme. Ce concert est un véritable succès. Cette année 89 se termine avec une collaboration avec Stefan Eicher sur son album My Place. Les deux hommes se sont rencontrés un an auparavant à Rennes, Eicher participant également aux Trans en 1988.

Les deux derniers albums de Moondog achèvent (si tant est qu’elle soit achevable) son œuvre de façon magistrale. Elpmas est un manifeste contre les mauvais traitements infligés à l’encontre du peuple aborigène, de la nature et des animaux, ainsi que les risques liés au progrès de façon plus générale. Disque aux sonorités sylvestres, plus proches de la forêt amazonienne que de celle de Brocéliande, les pistes d’Elpmas sont autant de sentiers audio à suivre en la compagnie du doux son du marimba. À la suite de ce disque, deux mini tournées auront lieu en Allemagne en 1992 et 1994. Puis en 1995, Hardin est convié par Elvis Costello à venir participer au Meltdown Festival, où étaient présents le London Brass et le London Saxophonic. Au cours de ce dernier, Moondog enregistrera Sax Pax for a Pax en 1997, album composé de titres de Moondog revisités. Moondog donnera son dernier concert à Arles, en France le 1 août 1999.

Un mois après, le 8 septembre 1999, Louis Hardin décède à l’hôpital évangéliste de Münster, il est alors âgé de 83 ans. Il laisse derrière lui une œuvre colossale qui ne cesse de surprendre tant elle est variée et riche. En puisant son inspiration dans la musique classique, le Jazz et la World Music, Moondog est devenu l’un des pionniers de la musique électronique. Et, si l’héritage est énorme, la marginalité du viking persiste même après sa mort et ce au travers d’une sorte d’absence de reconnaissance de la part du grand public. Paradoxalement, qui aujourd’hui ne connait pas la mélodie de Bird’s Lament ? Après le premier succès original, cette composition eut une deuxième vie à travers la chanson Get a Move On du DJ Mr Scruff qui sample une partie de la composition de Moondog, cette version comme l’original seront utilisés dans un nombre incalculable de publicités et jingles. Bien qu’en un sens cela permit de faire connaitre Moondog à un plus grand nombre, n’en demeure pas moins qu’une bonne partie de la population rattache cette mélodie au DJ et non à son compositeur originel, ce qui est réellement dommage et peu respectueux. Aussi, je vous invite à plonger dans l’univers musical de ce compositeur hors pair qu’est Moondog, qui de ses premiers enregistrements en 1949 à son dernier concert aura composé plus de 300 madrigaux, passacailles, canons et autres musiques pour orchestres à cordes, orchestres à vent, piano, orgue…

Photo : © Friedrich Kopetzky