PREMIERE PARTIE – PRELUDE | RICERCARE | ORATORIO
Né Louis Hardin le 26 mai 1916 à Maryville, l’enfance de Moondog fut bercée par le doux rythme des voyages avec pas moins de cinq déménagements en un peu plus de dix ans. Jeune, il adorait la pêche et la chasse et était extrêmement proche de la nature (c’est très certainement ce côté -à que l’on retrouvera plus tard dans une de ses ultimes œuvres ; Elpmas). En 1929 il apprend la batterie au collège, et trois ans plus tard en 1932, il perd la vue à l’âge de 16 ans, en ramassant un drôle d’objet sur une voie de chemin de fer qui s’avérait être un bâton de dynamite. Plus tard il avouera qu’au moment de prendre ce bâton de dynamite, il savait que c’en était un mais que quelque chose le poussait à le prendre, une sorte de destinée. En 1933 il débute l’apprentissage du braille et, durant cet été sa sœur lui lit un livre intitulé « The First Violin » et quelque chose – à ce moment là – fit qu’il voulut devenir compositeur.
Il finit ses études à l’école pour aveugles de l’Iwoa, c’est là-bas qu’il reçut sa première véritable formation musicale, il y étudia le violon, l’alto, le piano, l’orgue, les notions d’harmonie et le chant basse dans les chœurs. Mais beaucoup de ce qu’il connait de la musique vient de ses performances d’autodidacte, de la lecture en braille de livres à ce sujet, de longues heures d’écoutes, d’un énorme travail de l’oreille. Si bien que ces musiques, il les écrit loin de tout instrument en les testant de temps à autre sur un piano.
Plus tard, il quittera l’école pour aller vivre à Batesville, Arkansas et grâce à Virginia Sledge il obtiendra une bourse pour aller étudier à Memphis. C’est à cette époque qu’il fera la connaissance de personnalités du monde de la musique telles qu’Arthur Rodzinski, Leonard Bernstein ou encore Arturo Toscanini et Stravinsky qui aurait déjà dit de lui que « c’est un bon musicien ». Il commence alors à user du pseudonyme de Moondog en hommage à un chien qu’il avait lorsqu’il vivait à Hurley, chien qui hurlait à la lune plus qu’aucun autre.
Il se met aussi à écrire sa musique en braille et développe ses propres méthodes (le « Snaketime » en référence à l’ondulation du son par exemple). S’effectue alors un travail considérable avec l’aide de Marc Unger qui retranscrivait ce que Moondog lui dictait. Cette méthode fut utilisée pour bon nombre des compositions de Moondog. Une danseuse asiatique, Anna Naila, l’aidait aussi à transfigurer sur papier certaines de ses compositions.
Bien que né aux États-Unis, Moondog se considère comme un européen en exil ; son cœur et son âme sont en Europe. Il a un pied aux États-Unis et un autre en Europe, un pour le présent et l’autre pour le passé. Aussi il se veut très classique dans sa musique, que ce soit au travers de la forme, du contenu et de l’interprétation. Cela s’avère tout de même difficile par moment, d’utiliser des procédés classiques pour obtenir un résultat qui ne l’est pas, mais c’est aussi ce qui fera de Moondog un compositeur original ; partir de procédés ancestraux et maintes fois utilisés par le passé pour obtenir un résultat nouveau. De là, il décidera de marcher humblement dans les traces des grands maîtres tels que Bach (un de ses favoris), Mozart, Beethoven, Wagner, Brahms ou encore Haydn, défendant leurs valeurs. Il ne sait trop comment se définir lui même, et part donc du principe que les musiciens classiques équivalent à l’utilisation de “la note juste” à l’opposition des musiciens modernes qui eux usent de « la fausse note » (atonalité). Moondog est donc un compositeur classique, usant de notes justes, mais d’une façon qui diffère de l’utilisation qu’en faisaient Bach ou Wagner. Il adopte alors un style lui étant propre dans lequel il use de nombreuses subtilités telles que les contre-temps, le contrepoint, l’improvisation ou les canons par exemple, tout en ne sachant trop quelle place lui sera accordée à l’avenir, dans l’esprit du public.
Impossible de ne pas évoquer le côté marginal du compositeur, s’habillant de façon de moins en moins conventionnelle à ses débuts avec Rozinsky. Le départ de ce dernier finalise ce qui sera le style de Moondog : « Je vis, je pense et je m’habille à ma façon ». Moine orthodoxe puis viking abordant un casque à cornes et une lance, se baladant en plein milieu de New York. Indéniablement original autant que talentueux. Musicien de rue tout comme mendiant, vendant et jouant sa musique à l’aide de petits claviers bon marché et de percussions qu’il conceptualise lui-même comme le Oo, le Utsu, le Uni ou encore le fameux trimba aujourd’hui utilisé par son ami Stefan Lakatos qui perpétue encore aujourd’hui le savoir musical percussif de Moondog, ou récitant ses poèmes et philosophant avec qui le souhaite à l’angle de la 54ème rue et de la 6ème avenue (le Moondog’s corner aujourd’hui) où il occupe un porche sans discontinuer entre 20 heures et 6 heures le lendemain matin. Les rues sont son théâtre à lui. Il vit durement , constamment en marge de la société, dormant à même le sol et subissant les froids hivers, subissant des vols et se faisant uriner dessus. Il se retirait parfois dans sa « résidence secondaire » du New Jersey, un lopin de terre où il vit sous une tente.
Parallèlement, il compose ses œuvres et travaille d’arrache pied, étudie le Jazz et l’improvisation et réalise ses premiers enregistrements sur support 78 Tours sous le label SMC (pour Spanish Music Center à New York) : Snaketimes Rhythm, Moondog’s Symphonys, Organ Rounds, et Obe Rounds sur lequel est gravé la première version de All Is Loneliness. Tous ces enregistrements seront plus tard réutilisés, améliorés, et on en retrouve ainsi de nombreux More Moondog notamment, en 1956. Les prémices de sa carrière sont fortement marqués par une précarité en terme de moyens également, on est loin des directions d’Orchestres pour les disques de la Columbia. À ses débuts et pour les disques précédemment cités, Moondog enregistrait lui-même les parties au piste par piste pour un résultat authentique mais scabreux, n’étant pas à la hauteur de son talent.
Une sorte de “célébrité” s’installe pourtant lorsqu’un journaliste du Times, Walter Winchell, parle de lui dans l’un de ses articles, et quand Tony Schwartz, un musicologue, l’aide à la réalisation de Moondog in the streets of New-York en 1953. Suite à l’article de Winchell d’ailleurs, Moondog fit la rencontre d’un certain Charlie Parker qui voulut enregistrer un disque avec Moondog. Hélas, celui qu’on surnomme The Bird décédera avant qu’un tel projet puisse être monté, et Moondog dans son second album éponyme lui rendra un hommage au travers de son Bird’s Lament qui aujourd’hui est considéré comme l’un de ses plus beaux thèmes.
Pour la petite histoire, à cette période – en 1969 – Moondog entame un procès contre un certain Disc Jokey Alan Freed (connu plus tard pour être l’inventeur du terme « Rock n’ Roll »). En effet, ce dernier utilisa un son d’un hurlement de loup emprunté sans son accord à un disque de Moondog et alla même jusqu’à intituler son émission The Moondog Show. Hardin se rendit au tribunal en robe de bure, on passa sa musique et la Cour jugea que Moondog avait travaillé dur pour assoir son nom, Freed fut donc condamné et dut changer le nom de son émission (qui deviendra donc The Rock n’ Roll Show). Selon la légende, Igor Stravinsky aurait lui-même passé un coup de fil au juge en défendant la cause de Moondog, déclarant « Prenez soin de ce type. C’est un compositeur sérieux ». Après cette affaire, Moondog reprend son petit bonhomme de chemin, toujours hors des sentiers battus.
Entre 1953 et 1957 il enregistrera en son nom 4 albums et 5 EP, et apparaitra dans 3 compilations, sera repris par Kenny Graham, jouera pour un album aux côtés de Julie Andrews (Mary Poppins). Mais le succès n’est pas vraiment au rendez-vous. Pourtant de nombreux musiciens jazz viennent voir Moondog jouer dans la rue, ces jazzmen ne sont autres que Duke Ellington, Charles Mingus, Benny Goodman avec qui il fera un bœuf et évidement Charlie Parker à Broadway. Il rencontrera aussi durant cette même période Marlon Brando, Buddy Rich (batteur extraordinaire) ou Miles Davis, il enregistrera d’ailleurs trois disques sur son label Prestige (son premier éponyme, More Moondog, et The story of Moondog). Ces deux derniers disques valent à Moondog un statut de musicien d’avant-garde qu’il ne supporte pas, lui qui se veut médiéval dans sa façon de concevoir la musique. Inclassable. Différent. Génial aussi.
Il développe sa technique des canons liée à l’esthétique musicale du XVIème siècle anglais, cette technique appelée Ground ou Ostinato en italien définie comme « quelque chose qui, une fois commencée, se poursuit continuellement sans être abandonnée ».